- GRÈCE MODERNE - Le retour d’Andréas Papandréou
- GRÈCE MODERNE - Le retour d’Andréas PapandréouGrècePersonne n’aurait parié sur l’avenir politique d’Andréas Papandréou après les défaites répétées de son parti aux élections législatives de 1989 et de 1990. Né en 1919, le président du P.A.S.O.K. (Mouvement socialiste panhellénique), après avoir exercé la fonction de Premier ministre d’octobre 1981 à juin 1989, semblait alors devoir se retirer inéluctablement de la vie publique, compte tenu de graves problèmes de santé et des poursuites judiciaires engagées contre lui dans le cadre du scandale politico-financier Koskotas. Bénéficiant, en janvier 1992, d’un jugement d’acquittement du Tribunal supérieur spécial, qui, toutefois, condamne deux de ses anciens ministres, il prépare méthodiquement son retour au pouvoir en décourageant les initiatives de ses dauphins et en harcelant le Premier ministre, Constantin Mitsotakis, président de la Nouvelle Démocratie, le grand parti de la droite hellénique, dont la majorité, à la Chambre des députés, n’est que de deux sièges.C’est grâce aux divisions du parti gouvernemental que le P.A.S.O.K. a pu accélérer sa reconquête du pouvoir. En effet, en septembre 1993, à la suite de la défection de trois députés de la Nouvelle Démocratie, attirés par le Printemps politique, parti créé par l’ancien ministre des Affaires étrangères, Antonis Samaras, qui prônait la fermeté dans l’attitude à tenir à l’égard de la F.Y.R.O.M. (Former Yugoslavian Republic of Macedonia, ancienne république yougoslave de Macédoine), Constantin Mitsotakis, mis en minorité, obtient du chef de l’État Constantin Caramanlis la tenue d’élections anticipées. Le mode de scrutin pour ces élections a été la représentation proportionnelle renforcée avec un seuil de 3 p. 100 à franchir pour qu’un parti puisse participer à la répartition des sièges.La victoire du P.A.S.O.K.Prévue par les sondages depuis plusieurs mois, la victoire du P.A.S.O.K. aux élections du 10 octobre est très nette: ce parti obtient la majorité absolue des sièges avec 46,88 p. 100 des suffrages exprimés et 170 sièges sur 300. Jouant sur les maladresses du gouvernement Mitsotakis dans l’affaire macédonienne, qui a été au cœur de la campagne électorale, et profitant du mécontentement des salariés dont le pouvoir d’achat a été réduit de 20 p. 100 depuis 1990, Andréas Papandréou réussit à convaincre le corps électoral qu’une autre politique est possible pour la Grèce sans toutefois préciser le contour des mesures qu’il compte prendre, une fois redevenu Premier ministre. Le programme du nouveau gouvernement, qui comprend de nombreuses personnalités ayant détenu des portefeuilles dans la période 1981-1989, ne présente pas, malgré ses accents populistes, de rupture par rapport à celui qui a été appliqué par son prédécesseur. Les marges de manœuvre du P.A.S.O.K., pour promouvoir des changements tant sur le plan intérieur qu’en matière de politique étrangère, sont à l’évidence très réduites.Cette victoire des socialistes a eu pour conséquence de créer une onde de choc qui a touché tant la Nouvelle Démocratie que le Synaspismos (Coalition de la gauche et du progrès). Avec seulement 39,30 p. 100 des voix et 111 députés, la Nouvelle Démocratie essuie une sévère défaite qui conduit Constantin Mitsotakis à en abandonner la présidence. Désigné pour lui succéder par un collège électoral formé des parlementaires et des représentants des organisations régionales du parti, Miltiade Evert, surnommé le “Bulldozer” tant en raison de son dynamisme que de sa forte corpulence, devient ainsi le chef de l’opposition au gouvernement Papandréou. Descendant d’une famille bavaroise et fils d’un résistant à l’occupant allemand, Miltiade Evert, plusieurs fois ministre et député, sans cesse réélu depuis la restauration de la démocratie en 1974, avait arraché aux élections municipales de 1986 la mairie d’Athènes détenue depuis longtemps par la gauche. En accédant à la tête de la Nouvelle Démocratie, il prend sa revanche sur Constantin Mitsotakis dont il avait été le ministre, fonction qu’il avait dû abandonner en octobre 1991. Le Synaspismos, formé de progressistes et de communistes rénovateurs, a été fortement ébranlé lui aussi par les élections législatives du 10 octobre. Créée en 1988, cette formation politique, regroupant différents partis de gauche, a été affaiblie à la suite de la sécession en juin 1992 du K.K.E. (Parti communiste) qui, jusqu’à cette date, en constituait la principale composante. Déchiré par de multiples tendances, le Synaspismos ne recueille que 2,94 p. 100 des voix et se trouve ainsi privé de représentation parlementaire, n’ayant pu franchir la barre des 3 p. 100. Sa présidente, Maria Damanaki, rendue responsable de cette déroute électorale, démissionne de ses fonctions et sera remplacée par Nicos Constantopoulos, ancien membre du P.A.S.O.K. et ministre de l’Intérieur dans un gouvernement intérimaire formé en juillet 1989. Pour sa part le K.K.E., qui obtient 4,54 p. 100 des suffrages et 9 députés, est devancé de peu par le Printemps politique, nouveau parti de la droite nationaliste qui réunit 4,87 p. 100 et remporte 10 sièges.Les épreuves de la diplomatie grecquePrésentant son programme de gouvernement devant le Parlement, Andréas Papandréou, peu après sa victoire électorale, met l’accent sur la “défense de l’indépendance nationale et de l’hellénisme”. Ainsi était clairement affirmé le lien étroit de la Grèce antique et de la Grèce contemporaine. De fait, l’action du nouveau gouvernement va être dominée par des questions de politique étrangère, qui vont reléguer au second plan les problèmes de politique intérieure. Au perpétuel contentieux gréco-turc vont s’ajouter une forte tension avec les autorités de la Fyrom et une grave crise avec l’Albanie.La question macédonienne est entrée dans une nouvelle phase après les élections législatives. Alors que le gouvernement Mitsotakis avait accepté, après l’admission de la Fyrom à l’O.N.U., le 8 avril 1993, que des négociations s’engagent avec Skopje sur l’appellation définitive de la Macédoine yougoslave indépendante, Andréas Papandréou décide de mettre fin à ces pourparlers interminables et, selon lui, sans issue. De façon spectaculaire le 16 février 1994, la Grèce, invoquant les menaces que la Fyrom fait peser sur elle, décide de fermer ses frontières avec cet État. Le blocus économique, ainsi imposé à la Fyrom, dont les échanges commerciaux se font principalement à partir du port grec de Thessalonique, a été dénoncé par la Commission européenne qui, estimant que cet acte est en contradiction avec l’article 113 du traité de Maastricht, décide de poursuivre le gouvernement hellénique devant la Cour de justice de Luxembourg. La Grèce, tout en soutenant que la fermeture de ses frontières ne constitue pas une action illégale, puisqu’elle considère que sa sécurité est en danger compte tenu des agissements de Skopje, laisse entendre qu’elle pourrait assouplir son attitude en cas de geste de bonne volonté de sa voisine. Il semble donc qu’un compromis sur la question macédonienne puisse être trouvé sur les trois points faisant l’objet du litige: l’appellation de la Fyrom, l’emblème figurant sur le drapeau (l’étoile à seize branches de Virgina) et les articles de sa Constitution relatifs aux “Macédoniens de l’étranger”.Paradoxalement, Andréas Papandréou, qui a eu l’initiative, à l’époque même du communisme, de normaliser les rapports entre la Grèce et l’Albanie, avec l’abrogation par Athènes, le 28 août 1987, de la loi sur l’état de guerre entre les deux pays, est celui qui a été amené à adopter, quelques mois après son retour au gouvernement, une politique de grande fermeté à l’égard de Tirana. En effet, au printemps de 1994, un violent incident de frontière a brusquement provoqué une crise entre ces deux États balkaniques: après la mort de deux militaires albanais, le gouvernement du président Berisha décide l’arrestation de cinq membres de la minorité grecque d’Albanie, apparemment étrangers à cet incident sous l’accusation d’espionnage. Athènes dénonce alors la violation des droits de cette minorité forte de quatre cent mille individus selon les estimations helléniques, et de soixante mille seulement d’après Tirana. La condamnation à de fortes peines de prison de ces cinq accusés va entraîner une double réaction du gouvernement Papandréou: d’une part, la police hellénique expulse des dizaines de milliers d’Albanais travaillant en Grèce, le plus souvent clandestinement, et, d’autre part, la diplomatie grecque, usant de son droit de veto au sein de l’Union européenne, bloque une aide de 35 millions d’écus promise à l’Albanie. À la fin de 1994, la France et l’Allemagne ont proposé aux Grecs leurs bons offices pour les aider à résoudre leurs problèmes tant avec Skopje qu’avec Tirana.La confrontation entre la Grèce et la Turquie, sur de nombreux points litigieux, qui est très ancienne, prend une tournure dangereuse à la fin de l’année 1993, de façon indirecte à travers différentes situations conflictuelles concernant un ou plusieurs États tiers. D’abord dans l’ex-Yougoslavie, où la Grèce, favorable aux Serbes, s’oppose aux positions de la Turquie qui soutient les Bosniaques musulmans. Athènes n’a pu convaincre Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de l’O.N.U., de refuser l’envoi en Bosnie de casques bleus turcs. Le gouvernement Papandréou, qui lui-même a décidé de s’abstenir de participer à la Forpronu, a estimé, en effet, que la participation de troupes de pays balkaniques à cette force de paix risquait de compliquer un problème déjà difficile à résoudre. Par ailleurs, le soutien affiché par la Turquie à la Fyrom conforte la Grèce dans l’idée que son adversaire de toujours attise les conflits auxquels elle est confrontée, d’autant plus que celui-ci s’efforce dans le même temps de se rapprocher de l’Albanie. Au total, Athènes estime qu’un axe Ankara-Skopje-Tirana est en train de se constituer à son encontre. Pour faire face à toute éventualité, la Grèce développe depuis octobre 1993 la doctrine de l’“espace militaire uni”, conçue en accord avec la république de Chypre, très majoritairement hellénophone, dont un tiers du territoire est occupé par des troupes turques. Athènes et Nicosie ont donc décidé d’unir leurs efforts de défense pour faire face à toute intervention militaire turque qui pourrait se produire dans leur zone de contrôle. Le manque de solidarité de ses partenaires européens à l’égard de sa politique étrangère irrite beaucoup le gouvernement Papandréou qui, au cours du premier semestre de 1994, a assumé la présidence de l’Union européenne. Ce qui explique un certain relâchement des relations gréco-allemandes, très étroites sous le gouvernement précédent de la Nouvelle Démocratie, et un renforcement des rapports d’Athènes avec les États-Unis où s’est rendu Andréas Papandréou en 1994, décidé désormais à jouer la carte américaine.Économie et électoralismeLe clientélisme, qui est l’une des caractéristiques de la vie publique grecque, a été largement pratiqué avant et après les élections législatives du 10 octobre. C’est ainsi que le gouvernement Mitsotakis et le gouvernement Papandréou ont l’un et l’autre soumis l’économie hellénique à de rudes secousses. Le premier en procédant à de nombreuses nominations dans le secteur public et parapublic, souvent assorties de révocations des personnels en place, le second en les annulant par la réintégration, en exécution des promesses électorales du P.A.S.O.K., de ceux qui avaient perdu leur emploi. De nombreux officiers généraux, mis à la retraite d’office, ont pu de la sorte retrouver leurs anciennes fonctions. De même, aux privatisations opérées par la droite ont succédé des renationalisations réalisées par les socialistes: ce fut le cas, en particulier, de l’entreprise des transports urbains d’Athènes, E.A.S., qui sans délai a été réintégrée dans le secteur public.Curieusement, la monnaie grecque, la drachme, qui perd en moyenne 8 p. 100 de sa valeur chaque année par rapport aux monnaies européennes, est cependant considérée comme une devise forte dans plusieurs pays balkaniques, à telle enseigne qu’il est possible de parler de zone drachme. La transition difficile vers l’économie de marché, en Albanie et en Bulgarie par exemple, a permis à la Grèce de prendre des parts de marché dans ces États. Thessalonique, capitale de la Macédoine grecque, constitue le fer de lance de cette offensive dans les Balkans. Toutefois, l’économie grecque, que le gouvernement Papandréou veut assainir pour atteindre les objectifs prévus par le traité de Maastricht, ne dispose pas encore de bases solides. En particulier l’inflation, de l’ordre de 14 p. 100, la plus forte des pays européens, constitue un handicap sérieux à toute politique de progrès économique et social.À vrai dire, la vie politique grecque, dès le lendemain des élections législatives, s’est trouvée dominée par la question de l’élection du successeur de Constantin Caramanlis dont le mandat expire en mai 1995, élection pour laquelle le favori est à l’évidence Andréas Papandréou. Différents candidats se préparent à la succession de ce dernier à la tête du P.A.S.O.K. et, par voie de conséquence, à celle du gouvernement: Théodore Pangalos, l’ancien ministre des Affaires européennes, qui échoue en octobre 1994 à conquérir la mairie d’Athènes, Gérassimos Arsénis, le ministre de la Défense, l’économiste Constantin Simitis, surnommé le “Rocard grec”, ainsi qu’Akis Tsohatzopoulos, le secrétaire général du P.A.S.O.K. À ces noms doit s’ajouter celui de Mme Vasso Papandréou, homonyme du Premier ministre, élue triomphalement député d’Athènes, après avoir été membre de la Commission de Bruxelles.Pour être élu chef de l’État, poste honorifique depuis la révision constitutionnelle de 1986 et auquel la désignation par les députés suppose la majorité des deux tiers aux deux premiers tours de scrutin et la majorité des trois cinquièmes au troisième tour, Andréas Papandréou doit obtenir le nombre magique de 180 voix. Afin d’éviter la dissolution automatique de la Chambre des députés, prévue par la Constitution si aucun candidat n’obtient la majorité requise à ce troisième scrutin, le Premier ministre devra obtenir les votes du K.K.E. ou du Printemps politique. Or ces deux partis, qui souhaitent sans doute faire monter les enchères, ont fait publiquement savoir à celui-ci qu’ils ne faciliteraient pas son accession à la présidence de la République. La bataille que s’apprête à livrer “Andréas”, comme l’appellent ses partisans, s’annonce difficile. Il s’agira de son ultime combat politique.
Encyclopédie Universelle. 2012.